Après la
prise de possession des Flandres par le roi de France et la visite du
couple royal dans cette région, qui trouva les habitants trop fiers
d'eux-mêmes, le gouverneur de Châtillon s'attacha à
les remettre à leur place. Il les priva de beaucoup de privilèges,
s'aliénant les riches, et frappa les pauvres d'impôts. Comme
on pouvait s'y attendre, le peuple commença à parler tout
bas et à s'assembler en secret.
Trente chefs de
métier vinrent tout d'abord se plaindre à Châtillon
que les ouvrages commandés pour le roi ne leur étaient toujours
pas payés. Le grand seigneur, habitué aux droits de corvée,
trouva la réclamation insolente et les fit arrêter. Le peuple
en armes les délivra en tuant quelques hommes, au grand effroi
des riches qui se déclarèrent pour le roi pour maintenir
le peu de privilèges qui leur restaient. L'affaire fut portée
devant le Parlement de Paris qui jugea la Flandre et décida que
les chefs de métier devaient retourner en prison. Cette décision
fut à l'origine d'une vaste série de massacres commis contre
les Français en Flandre et parmi lesquels ressort celui de la terrible
journée du 21 mars 1302 et des deux jours qui suivirent pendant
lesquels 1.200 cavaliers et 2.000 sergents à pied français
furent passés par les armes, défenestrés, battus
à mort par les habitants de Bruges.
Après de
tels évènements, les habitants n'avaient d'autre alternative
que vaincre ou périr. Les Brugeois marchèrent d'abord sur
Gand, dans l'espoir que cette grande ville se joindrait à eux.
Mais les Gantais refusèrent de se joindre au Brugeois. Ils trouvèrent
cependant comme alliés le Franc de Bruges, Ypres, l'Ecluse, Newport,
Furnes, Gravelines. La ville de Courtrai fut emportée par Gui de
Namur, un des fils du comte de Flandre, et la garnison fut refoulée
dans le château. Les Flamands apprirent peu après que le
comte Robert d'Artois était entré en Flandre par Tournai
à la tête d'une formidable armée ; elle comptait,
suivant Villani, qui était alors sur les lieux, 7.500 hommes d'armes,
10.000 archers, et 30.000 fantassins levés parmi les milices communales.
Presque tous les grand barons y étaient. Guillaume de Juliers,
neveu de Gui de Namur, apprit la nouvelle alors qu'il entreprenait le
siège de Cassel. Il se replia sur Courtrai pour l'y rejoindre.
Leurs forces réunies ne dépassaient guère 20.000
combattants.
Les artisans, qui
formaient cette armée de révoltés, n'avaient guère
combattu en rase campagne, et auraient peut être reculé volontiers.
Mais la retraite était trop dangeureuse dans une grande plaine
et devant toute cette cavalerie. Ils attendirent donc bravement. Chaque
homme avait mis devant lui à terre son pieu ferré. Leur
devise était : Seilt une vriendt, mon ami et mon bouclier.
Les chevaliers qu'ils avaient avec eux, pour les encourager, renvoyèrent
leurs chevaux ; et en même temps qu'ils se faisaient fantassins,
ils firent chevaliers les chefs des métiers. Ils savaient tous
qu'il n'y avait pas de grâce à attendre. On répétait
que Châtillon arrivait avec des tonneaux pleins de cordes pour les
étrangler. La reine avait, disait-on, recommandé aux français
que quand ils tueraient les porcs flamands, ils n'épargnassent
pas les truies flamandes.
Le connétable
Raoul de Nesle proposait de tourner les Flamands et de les isoler de Courtrai.
Mais le cousin du roi, Robert d'Artois, qui commandait l'armée,
lui dit brutalement : "est-ce que vous avez peur de ces lapins, ou
bien avez-vous peur de leur poil ? ". Le connétable, qui avait
épousé une fille du comte de Flandre, sentit l'outrage,
et répondit fièrement : "Sire, si vous venez où
j'irai, vous irez bien avant !" En même temps, il se lança
en aveugle à la tête des cavaliers en cette journée
du 11 juillet 1302 dans un nuage de poussière. Les diverses compagnies
se confondirent en une vaste colonne qui tomba sur les Flamands comme
une trombe parmi les tourbillons de poussière. Chacun s'efforçant
de le suivre et craignant de rester à la queue, les derniers poussaient
les premiers ; ceux-ci approchant des Flamands trouvèrent, ce qu'on
trouve partout dans ce pays coupé de fossés et de canaux,
un fossé de 5 brasses de large. Ils y tombèrent, s'y entassèrent
; le fossé étant en demi-lune, il n'y avait pas moyen de
s'écouler par les côtés. Les insurgés en profitèrent
pour franchir le canal en deux points et charger sur les flancs cette
masse confuse.
A l'aspect de leur
ruine et de leur chute si promptes, le noble comte d'Artois, qui n'était
pas accoutumé à fuir, avec sa compagnie de forts et vaillants
gentilshommes, se plongea aussi au milieu des Flamands comme un lion enragé
; mais pour la grand'multitude de lances que les flamands tenaient serrées
les unes contres les autres, il ne put transpercer leurs batailles
Les Brugeois n'épargnèrent aucune âme ; mais de leurs
lances aiguës et bien ferrées, ils faisaient trébucher
et choir chevalier après chevalier et les tuaient à terre.
Et le comte d'Artois, bien qu'il fut navré de 30 blessures ou plus,
se battait toutefois vaillantement et vigoureusement. Si tous les gentilshommes
qui se trouvaient à la queue de la colonne eussent tenté
un vigoureux effort, peut être eussent-ils dégagé
leurs compagnons d'armes ; mais saisis d'une panique universelle, ils
tournèrent bride et s'abandonnèrent à une fuite "
très laide et très honteuse ". Et ainsi le duc de Bourgogne,
le comte de Saint-Pol, Loys de Clermont et 2.000 hauberts laissèrent
mourir leurs compagnons.
Les Flamands tuèrent
à leur aise ces cavaliers désarçonnés : ils
les choisissaient dans le fossé. Quand les cuirasses résistaient,
ils les assommaient avec des maillets de plomb ou de fer. Ils avaient
parmi eux bon nombre de moines ouvriers, qui s'acquittaient en conscience
de cette sanglante besogne.
Toute la chevalerie
de France vint s'enterrer là : Artois, Châtillon, Nesle,
Brabant, Eu, Aumale, Dammartin, Dreux, Soissons, Tancarville, Vienne,
Melun, une foule d'autres.
4000 éperons
dorés (un autre dit 700) furent pendus dans la cathédrale
de Courtrai. Triste dépouille qui porta malheur à la ville.
80 ans après, Charles VI vit les éperons, et fit massacrer
tous les habitants.
Les Flamands victorieux
allèrent ensuite aux tentes des chevaliers, et y trouvèrent
grande quantité d'armes et grand appareillage. Quand ils eurent
dépouillé tous les morts de leurs harnois et de leurs vêtements,
ils s'en revinrent en grande joie à Bruges ; et ainsi, les corps
dépouillés de tant de nobles hommes demeurèrent en
la place et au champ, sans que nul les mit en sépulture, et les
bêtes des champs, les chiens et les oiseaux mangèrent leurs
charognes.